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Des récits de papier aux récits 2.0





Réécriture. Fleurir des mains... ?

par Aude Rabaud
le 16 février 2024

Fleurir des mains… ?

D’après "Offrir des fleurs" de Fabien Deshayes et Jean-François Laé.

Quel était donc l’objectif de ces mâles endurcis qui ne semblent pas savoir où poser leurs bouquets ? Comment ont-ils accepté la tenue de cette séance photo ? Pourquoi sérier ces portraits, qu’on suppose maintes fois recommencés, histoire de se donner l’air de savoir faire ?
(« Va falloir essayer d’un peu plus sourire ! »)
Quelle partition accompagnerait cette obscure tentative de colorer ces portraits tirés en grand ? Celle d’un murmure… à peine audible… couvert par cette toux persistante d’avoir trop fumé de sans filtre à la pause… ? Que vise-t-elle, cette étrangère du ministère, qui a su les convaincre de jouer le jeu ? Quel genre de délicates bagatelles va-t-elle réussir à confier au public ?
(« Mais les gens vont s’apercevoir qu’on a la tête ailleurs, non ? »)
Quelle tranche de vie ébaucher à partir de bouts de bras, de fragments de portes, de soupçons de murs, de fenêtres, de portions de toitures ?
Quelle narration construire à partir de ces postures presque convaincues par l’exercice ?
Comment raconter, à notre sauce, et sans prologue, nous, simples sociologues, les aventures dont les traits un peu tirés déroutent ?
Que faire de ces prises de vue ?
Oserons-nous révéler l’essentiel de ces vies de labeur à partir de ces mains fleuries ?
Que nous révèlent-elles, d’ailleurs, ces mains, larges, aux doigts tâchés par la terre maintes fois malaxée, aux ongles noircis, aux phalanges déformées par le froid de l’hiver et les manipulations répétées des outils ?
Peut-être est-ce le dehors des hommes marqués et luttant, en dedans, contre le vent, la pluie et les gelées, qui s’esquisse ici ; peut-être une version d’états d’âmes de parents, de voisins, d’inconnus, qui ne font pas leur âge, vieillis à force de trop faire, de s’oublier à l’ouvrage…
Imaginons qu’ils se laissent aller à nous offrir des bribes de récits, imaginons le hors cadre de ces portions d’existence exposées sur fond rouge dans les salons d’une mairie…

Marcellin, en haut à droite, ne cherche même pas à feindre un quelconque effet de surprise. Il semble serein, on devinerait presque un début de sourire malicieux, parce que ce n’est pas rien de se voir offrir quelques brins de Silène par la Joséphine. Il semble observer la photographe, du coin de l’œil, presqu’avec affection, ce même sentiment que lui inspire le délicieux moment qu’il vient de partager, furtivement, dans l’arrière cuisine, pendant que les bocaux stérilisaient. Il n’est pas question de faire comme si rien ne venait de se passer, il avait hésité à franchir le pas de la porte, un peu étonné mais content de lire dans les yeux doux de cette jeune veuve, la dernière fois qu’il l’avait croisée sur la place du marché, la confirmation que quelque chose se passait. Mais là, comment va-t-elle réagir, la Joséphine face à cette incongruité d’avoir accepté d’être pris sur le vif (sur le fait ?). Que va-t-elle penser quand elle découvrira la photo, en grand format, dans la maison communale, et s’apercevra qu’il tient délicatement serré ce petit bouquin de fleurs au langage mystérieux ? C’était maladroit, certes ; mais sur le moment, impossible de composer avec des mots qui ne venaient pas, ou dans le désordre, pour refuser d’être capturé par ce drôle d’appareil sophistiqué… Tant pis, on verra bien… pour l’instant les yeux de Marcelin fredonnent une douce odeur qui vient taquiner la mélodie des « compagnons blancs » lui trottant dans la tête.